mardi 22 décembre 2009

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Mais ce façonnement culturel est tellement incorporé, habitus devenant sens pratique à l'oeuvre dans les moindres gestes et choix de la vie quotidienne, qu'il est ressenti comme naturel, une "seconde nature" puisqu'il est en fait la naturalisation de différences culturelles ou d'accès différents à la culture. En ce sens, le corps est langage et marquage social." (221-222)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Corps et société semblent indissociables, contrairement au sens commun ou à la pensée organiciste, qui poseraient le corps comme entité biologique, agencement de cellules réductible à la seule analyse mécanique. Au contraire, le corps est façonné par la société et pour la société, les deux niveaux interférant souvent." (221)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"La "possédée" est paradoxalement celle qui remet en cause, par ses attitudes extraverties, la possession de son corps par les hommes, les prêtres, les juges et, par là même, les dépossède (Certeau, 1970, 2e édition 1990). L'anorexie ou l'hystérie, ces deux troubles décrétés maladies au XIXe siècle, en une illustration du pouvoir médical comme désamorce des problématiques sociales, sont également interprétées, dans ces perspectives, comme une résistance par le corps à une domination sur ce même corps (...)" (212)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Le corps de la psychiatrie parle et révèle la vérité de l'individu, mais son interprétation par le langage savant de l'institution médicale l'annule comme réalité corporelle, et restitue en quelque sorte l'esprit comme moteur et directeur du corps : dans les troubles psychosomatiques, c'est le dysfonctionnement de la "tête" qu'on soigne." (180)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Le médecin, et au-delà de l'individualité du praticien, l'institution médicale, devient en effet une instance de pouvoir chargée d'assigner, au-delà de prestations et d'indemnités, une identité au patient."

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"(...) on évacue, par le pouvoir des mots sur les maux, les causes pour ne soigner que les effets, niant ainsi les enjeux sociaux et politiques en oeuvre sur et dans les corps." (178)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"La constitution de nouvelles catégories médicales est un instrument très puissant, car elle permet de placer sur le terrain du biologique ce qui relèverait de rapports de force sociaux et politiques." (177)

DETREZ, Christine, La construction sociale du cors

"Le principe même de l'existence d'une médecine comme entreprise de connaissance est expression de pouvoirs. Pouvoir des mots et pouvoir sur les choses sont indissociables (Foucault, 1966, 1975, 1976). La connaissance scientifique s'élabore par une entreprise frénétique de taxinomies et de classifications, de définitions des pathologies et des catégories psychiatriques (hystérisation de la femme, psychiatrisation des déviances sexuelles...). (177)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

Différence entre la théorie de l'hexis corporelle et la physiognomonie : "Mais ce qui les rapproche est aussi ce qui les distingue. Si le corps est ainsi un système sémiotique à lire et à interpréter, dans un cas, il s'agit du corps appréhendé comme un langage de l'identité "naturelle" (le caractère), dans l'autre, de l'identité "naturalisée" (l'identité sociale, les caractéristiques sociales), dans un cas, c'est la nature qui inscrit les signes, dans l'autre c'est la culture." (166)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Plus généralement, si la théorie de l'hexis corporelle explique ainsi comment les usages sociaux peuvent s'incorporer au point de ne plus être conscients, elle ne place plus le corps sur le registre de l'avoir, mais sur le registre de l'être : le corps n'est plus dissocié de l'homme, il l'est, le représente tout entier à chaque mouvement, comme être social." (165)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"L'hexis corporelle est ainsi particulièrement signifiante, car, produit de l'incorporation de l'habitus, elle fonctionne en deçà de la conscience et du discours par la place occupée par l'espace physique." (164)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"La notion d'hexis corporelle, équivalent grec de l'habitus latin, se réfère à la théorie plus générale de cet habitus. Elle désigne la manifestation corporelle, incorporée, de l'habitus : elle est ce qui transforme, effectivement, le corps selon les usages sociaux spécifiques à chaque groupe, donnant cette coïncidence qui fait s'étonner avec la même candeur naïve qu'une Mme de Lafayette quelques siècles plus tôt qu'on ait si souvent le physique de l'emploi." (163)

"L'hexis corporelle peut ainsi être décodée comme un langage, un système sémiotique, où chaque signe fait sens." (163)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Ainsi, à côté de la réflexion rationnelle existent une intelligence corporelle, un sens pratique, communication silencieuse, infralangagière, de corps à corps, que nous comprenons sans avoir les mots pour le dire, ni pour les enseigner : l'apprentissage, l'incorporation se fondent alors sur l'imitation et la répétition." (159)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Ainsi, la notion de schéma corporel peut permettre de cerner cette transformation profonde du corps. Elle apparaît au XIXe siècle dans les travaux du médecin Ernest Bonier, et désigne la structure sensorielle qui permet la perception des limites du corps. Les mouvements, les postures font ainsi évoluer le schéma corporel en founissant de nouvelles sensations, selon un dialectique perception-action." (158)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Les usages sociaux et culturels du corps ne sont si efficaces que parce qu'ils sont intériorisés et incorporés. La notion d'incorporation (...) rompt avec la vision d'un corps qui ne serait que matière ou machine, impulsée par un esprit supérieur, une raison seule maître à bord." (157)

lundi 21 décembre 2009

GOFFMAN, E. La mise en scène de la vie quotidienne

"Dans ces conditions, être "réellement" un certain type de personne, ce n'est pas se borner à posséder les attributs requis, c'est aussi adopter les normes de la conduite et de l'apparence que le groupe social y associe." (76)

- cité dans Detrez, p. 155

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"La féminité ne renvoie par au corps réel de la femme, mais au corps idéal, véhiculé par les représentations culturelles d'une société en général, d'un groupe social en particulier. Principe de division, au même titre que les taxinomies biologiques, la notion de genre est également principe de vision, de perception selon un code commun." (150)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Être malade est également un statut social et engage à ce titre les institutions officielles et les politiques publiques (...) Quand la maladie devient un phénomène contre lequel on peut lutter, la panique s'estompe, mais apparaît le personnage du malade." (140)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"(...) la maladie peut être interprétée comme une métaphore du social. Certes, c'est bien l'individu qui est malade qui éprouve le mal dans son corps, mais il l'est également aux yeux de la société et selon les modalités qu'elle fixe." (137)

voir Sontag, Susan (1979), La maladie comme métaphore, Paris : Seuil.

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Le corps agit ainsi dans la communication, à deux niveaux : d'une part, il est mémoire, incorporation, incarnation du code ; d'autre part, il est signe. D'une part, il est langue, de l'autre, il est parole. Dans tous les cas, son usage comme support de sens est culturel." (128)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Le regard porté sur les sociétés extérieures peut être retourné sur nos propres mondes, et ce par une comparaison historique : si la norme dominante, légitimée par la médecine, pose la scission de l'individu et du monde, elle s'impose contre, et à côté, des représentations populaires, que celles-ci soient tombées en désuétude ou reléguées au rang de superstition par nos conceptions rationnelles. Le corps n'y est pas une entité séparée, mais se trouve inscrit dans des réseaux de correspondance et d'influences avec les éléments extérieurs." (123)

DETREZ, Christine, La construction sociale des corps

"Le processus historique d'intériorisation des contraintes est ainsi au fondement des théories contemporaines sur le corps et ses usages culturels. Paradoxalement, le corps ne s'individualise par parce que la pression du groupe s'accentue, et le place sous un regard et une surveillance constante. Telle est la force des représentations culturelles, dont participent les croyances et les savoirs sur le corps : elles dessinent un corps idéal, en expliquent le fonctionnement et modèlent alors selon ces schèmes les corps réels." (119)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Le corps redressé est ainsi celui "qui marche droit", pourrait-on dire, tant les mots sont pris dans un tissu métaphorique (...) En redressant les corps, on vise également l'âme, dans ce souci polymorphe de "correction" : correction du langage, des attitudes, par le polissage des aspérités, des déviances et déviations, qui, d'un paysan, fera un élève ou un soldat "poli"." (116)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"Le donné biologique, dans le façonnement naturel duquel interviennent déjà l'influence de la société et la culture, est cultivé, interprété, redressé au travers de normes plus ou moins conscientes : les attitudes et les comportements les plus privés d'hygiène, de santé, de sexualité, se trouvent ainsi conditionnés, déterminés, englobés dans des dimensions symboliques, productions historiques et sociales." (110)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"La "nature humaine" et son incorporation dans un organisme sont déjà des construits culturels. Avant même d'envisager les usages proprement sociaux et culturels du corps, qui prennent le corps comme matériau, la socialisation, dans une société, dans un groupe social, informe, donne forme, déforme les techniques naturelles du corps, permet d'en actualiser les potentialités biologiques. La fontière est ainsi ténue entre hérédité et héritage." (104)

DETREZ, Christine, La construction sociale du corps

"De la même façon, la frontière entre santé et maladie, sain et malsain, fluctue et ne se résume nullement au bon fonctionnement de l'organisme. La définition de la santé évolue : liée à la pourriture et aux manifestations physiques et externes dans un Moyen Âge dominé par les fléaux de la lèpre et de la peste, la maladie s'intériorise, se minimalise, se psychologise au fil des siècles, des progrès de la connaissance médicale et de l'évolution des représentations des corps : les "vapeurs", les maladies nerveuses sont ainsi chacune un exemple de la représentation dominante du corps, respectivement le corps-alambic du XVIIe et le corps fibreux du XVIIIe." (101)