vendredi 29 mai 2009

MORIN, Edgar, Le vif du sujet

"Mais il faut reconsidérer l'hystérie comme phénomène anthropologique global :
1) Pour comprendre l'hystérie, il faut associer les termes antinomiques de simulation et de sincérité, de jeu et de sérieux, d'imaginaire et de vécu. L'hystérie suppose donc un dualité fondamentale, une duplicité structurale au siège même du moi-un.
2) La dualité-duplicité hystérique, d'une part, masque une carence radicale dans la relation avec soi-même, autrui, le monde, d'autre part, exprime et incarne une ardeur affective capable de muer la simulation en son contraire.
3) Magie et hystérie se confondent là où le sentiment de réalité et parfois même la réalité physiologique (brûlures, plaies, stigmates, grossesses nerveuses, etc.) naissent de l'imaginaire ou de la suggestion." (144)

MORIN, Edgar, Le vif du sujet

"Parmi toutes ces relations, la relation psycho-affective est celle qui permet de leur concevoir un système, une logique. La logique psycho-affective est la branche sauvage de la pensée (...)

Le système psycho-affectif donne substance et existence à tout ce que les magies et les religions ont considéré comme réel (fantômes, esprits, dieux, miracles, révélations, possessions, etc.), mais aussi à la notion moderne de réalité. Il sécrète, en somme, le caractère ontologique de l'existence, le caractère existenciel de l'être, le caractère substanciel de la réalité." (142-143)

"Il lui manquait, pour ainsi dire, la plaque tournante entre le système psycho-affectif, la magie, le sentiment, le moi, la personne. Cette plaque tournante, je le vois maintenant de façon aveuglante, c'est l'hystérie." (144)

--- cinéma psycho-affectif, hystérie comme concept globalisant

GAVRON, Laurence et Denis LENOIR, John Cassavetes

Sur MABEL LONGHETTI: "Un jour, nécessairement, un décalage apparaît entre ses émotions, ses pensées, et la réalité autour d'elle (le cinéma de Cassavetes pourrait d'ailleurs se définir comme un cinéma du décalage) (...) Elle sombre dans la "folie" par ennui peut-être, par frustration sûrement. Car le fond du problème, c'est la démesure de son implication, de son amour pour les siens, et l'incapacité des autres à l'assumer : les autres qui ne savent que faire, que dire face à cet amour si fort, à cette exubérance, à ce débordement d'émotion." (76)

SUR MYRTLE GORDON: "Myrtle Gordon, elle, penche vers cette même folie par un autre biais, et pour d'autres raisons. Sa vie, contrairement à celle de Mabel, est vide du point de vue affectif, mais remplie par sa carrière de comédienne (...) C'est là qu'elle a recourt à un univers irréel, un univers de "folie", pourrait-on dire. Elle se tourne vers l'imaginaire, vers les fantasmes, rejoignant la jeune Nancy dans ses rêves." (76)

JOUSSE, Thierry, John Cassavetes

"Le paradoxe, c'est d'être à la fois dans la moyenne et dans l'excès. Cassavetes ne travaille pas en sociologue, en observateur purement extérieur, ou même en militant d'une cause quelconque. Il n'est pas un cinéaste critique, délateur à bon marché qui désigne les coupables sans s'impliquer ou se mettre en question. Sa puissance personnelle vient de ce qu'il est à la fois dehors et dedans. Dehors comme témoin patient, rigoureux et impitoyable des débordements, des excentricités, des petites lâchetés, des mesquineries, du désarroi, de la dérive de ces petits-bourgeois piégés par un regard invisible, une caméra habile aux changements d'axes et de points de vue qui voit le quotidien sous tous les angles et toutes les coutures. Dedans parce que les corps à l'écran sont ceux du cinéaste, de sa femme, de ses amis, de sa famille, et que l'identité entre le personnage et l'acteur est totale. Parce que la caméra est au coeur de la mêlée, destituée de sa position externe, hors de tout point de vue critique trop sécurisant, basculant de l'autre côté de la scène, accompagnant jusqu'au déchaînement la crise qui se déploie devant nous." (116)

JOUSSE, Thierry, John Cassavetes

" C'est comme une sorte de dérèglement interne des comportements, de folie ordinaire couvée en son sein même par la midle-class (...) Une femme sous influence, c'est la famille schizophrénique et paranoïaque, moins la folie de Mabel que celle de la famille toute entière, mari, belle-mêre compris, comportement déviant au coeur de la normalité la plus stricte." (116)

JOUSSE, Thierry, John Cassavetes

« La langue de l'hystérie est celle du corps. » (81)

ex : Dans A Woman Under the Influence, Mabel se manifeste, debout sur la table, lorsque la communication lui est insupportable. Corps défiant, excessif, réactionnaire. Corps en crise. Corps fragile ET excessif. Corps en panique, boulimique, colérique, frénétique... corps fatigué qui s'écroule, qui s'effondre, corps fondamentalement dysfonctionnel.

JOUSSE, Thierry, John Cassavetes

« (...) simulation n'est pas synonyme de faux. Que la scène soit surjouée ne signifie par que le trouble n'est pas réel, bien au contraire. C'est que l'hystérique elle-même ne sait pas clairement jusqu'à quel point elle simule.» (88)

JOUSSE, Thierry, John Cassavetes

« L'hystérique est toujours en même temps acteur (ou actrice). S'il en fait trop, c'est qu'il veut se faire remarquer par l'autre. » (86)

JOUSSE, Thierry, John Cassavetes

« Le corps hystérique de Mabel Longhetti ou de Myrtle Gordon parle, mais quelle langue parle-t-il? Est-on certain qu'il dit la vérité? N'est-il pas entraîné dans un bluff, une simulation, une sorte de théâtralisation qui le dépasse? Le corps hystérique en fait trop. Il ornemente, surcharge les attitudes. C'est presque un corps maniériste. » (85)

JOUSSE, Thierry, John Cassavetes

« Son trop plein d'amour [Zelmo Swift] submerge l'autre et se transforme en cauchemar. Sa présence trop forte est insupportable à Minnie. Elle contamine tout le film et en devient une véritable métonymie : difficulté ou impossibilité de se mettre au diapason de l'autre, désir toujours en excès qui s'échappe dès qu'on croit le retenir. » (81)

JOUSSE, Thierry, John Cassavetes

« Chez Cassavetes, l'hystérie est plus qu'une maladie ; elle est un mode de relation, une structure fondamentale du dialogue (...) » (88)

« Langage de l'amour, l'hystérie est surtout un mode de figuration cinématographique qui génère toute une organisation de l'espace et une mise en scène complexe du corps de l'acteur. Le corps, c'est bien là que gît, en dernière instance, le mystère fantasque et capricieux de l'hystérique. » (88)

JOUSSE, Thierry, John Cassavetes

« L'hystérisation chez Cassavetes suppose une circulation permanente entre l'intérieur et l'extérieur (…) Elle requiert une mobilisation complète de l'individu et exige un rapport très étroit entre le visible et l'invisible. C'est le nerf qui fait la différence, le nerf comme production d'énergie et comme mystère du corps. » (80)

JOUSSE, Thierry, John Cassavetes

« Pourtant, ce corps est la proie de forces qui le tordent, l'électrisent, l'hystérisent (…) Il semble échapper au contrôle du sujet, régi par des lois qu'il ignore. Le corps de Myrtle Gordon, happé par son propre vertige ou le corps de Sarah Lawson, nerveux trop nerveux, appartiennent aussi à cette même famille, celle de l'hystérie. » (79)

JOUSSE, Thierry, John Cassavetes

« Il y a chez Cassavetes (…) une littéralité absolue du corps comme mode de figuration et surtout comme présence existentielle. Corps ontologique qui échappe à toute détermination formelle, sculpture vivante, charnelle, brûlante. Ni glorieux, ni sportif, ni religieux, ce corps est à la limite de toute visibilité, de toute représentation mais, en même temps, tout se joue à l'intérieur, à l'abri des regards, par la force d'une alchimie que nous ne sommes pas encore capable de comprendre. » (79)

JOUSSE, Thierry, John Cassavetes

« (…) les films de John Cassavetes représentent sans arrêt le couple dans une scène de ménage permanente. Dans cette logique infernale de la scène de ménage, c'est Une femme sous influence qui va le plus loin. Une femme sous influence, c'est l'excès porté au cœur de la famille, le surgissement d'une folie implicite et refoulée. (…) Nous sommes, pour le meilleur et pour le pire, dans le domaine de l'indiscernable, de l'indémêlable avec ses grappes de corps. Inextricables enchevêtrements de mains, de pieds, de têtes, gisants sur le lit, ou prêts à basculer sur le sol. » (45)